Vivre au quotidien avec un rhumatisme inflammatoire chronique, c'est parfois avoir la surprise de découvrir encore de nouveaux désagréments au petit matin.
Il existe tous ceux auxquels l'on s'attend au moment du diagnostique, en se renseignant un peu sur le fonctionnement de sa maladie. Les limites physiques, ne pas pouvoir par exemple se déplacer comme avant, tout simplement parce que le mouvement est altéré. Puis il y a toutes les autres limites, que l'on franchies de plus en plus souvent.
Dès le début, l'on comprend, que l'on est souvent réveillé par des douleurs nocturnes. Je ne m'y suis pas encore tout à fait habituée. C'est un peu particulier, lorsque tout d'un coup, une douleur intense vous prend une articulation, et que vous êtes réveillée parce que ça chauffe, ça gonfle, et sans jeu de mots, ça gonfle d'autant plus, qu'en général à 3h du matin, tout est rouillé, et toute la maisonnée dort. Alors non seulement vous avez mal, mais en plus vous mettez ce qui vous semble une éternité, pour ne serait-ce que sortir le pied de ce drap qui vous déclenche tant de mal. Inutile de préciser, que si possible, vous éviter de hurler, ou de sangloter, alors que vous en avez vraiment envie Comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi les insomnies. Qu'elles soient un effet secondaire des traitements, ou bien tout simplement, que ce soir là, vous avez un peu mal partout et ne trouvez aucune position vous permettant de vous détendre; il peut être très difficile de capter les grains du marchand de sable. C'est fou, d'ailleurs, il ne faut pas beaucoup d'articulations douloureuses, pour échapper à Morphée. Bon, le drap sur le pied c'est déjà pas mal, la douleur aux coudes, aux épaules, poignets ou genoux, vous oblige très vite à trouver une position originale pour dormir. C'est souvent le réveil qui en devient douloureux. Pour dormir, vous avez adopté une mauvaise posture d'attente. Mais au delà de tout, de mon expérience, lorsque ce sont les côtes, les vertèbres, les os iliaques, toutes les positions assises, semi-allongés ou allongés sont difficiles et douloureuses. L'un des premiers soucis des rhumatismes inflammatoires chroniques est donc un capital sommeil en berne. Réveils nocturnes et insomnies, résultants tous deux de l'activité de la maladie, sans même parler de problèmes de psyché, participant grandement au déficit de sommeil, qui lui même va entrainer de nombreux autres petits désagréments. Sans parler, d'un état de somnolence, d'une fatigue extrême, d'une grande fatigabilité, des sautes d'humeurs, des limites cognitives qui vont en découler. Je pourrai développer encore longtemps ce que le monde médical appelle les comorbidités, mais c'est bien de cela dont il est question avec la carence de sommeil induite par l'activité de cette maladie auto-immune.
Le manque de sommeil, la douleur répétée, l'inflammation chronique, va aussi provoquer un brouillard cérébral. Un dysfonctionnement cognitif, entraînant, perte de mémoire, difficultés de concentration, incapacité à prendre des décisions, une neuro-inflammation. Chaque geste, même les plus anodins, comme regarder un film peu devenir difficile. L'état mental est comparable à une personne dépressive. vous aurez beau lui dire de s'activer, cela n'aura aucun effet, car le brouillard cérébral n'est pas une question de volonté, mais bien un état psychique de fragilité forte entravant les tâches cognitives. Le cerveau est au ralenti, et ça se voit. Pour la personne qui le vie, c'est assez désagréable comme sensation. L'on a bien conscience que l'on ne tourne pas rond, ou pas aussi bien que d'habitude. L'effet secondaire de ce brouillard, c'est que l'on perd vite l'envie de faire des choses. Pas forcément au point de broyer du noir, mais en tout cas ça change notre humeur, surtout si cela dure. Un effet secondaire, entraînant un autre effet secondaire. Un joli cheminement vers finalement un état global de plus en plus dégradé.
Je l'ai un peu évoqué précédemment, l'un des petits soucis des rhumatisants est ce que l'on appelle le dérouillage matinal. Je m'estime assez chanceuse de ce point de vue. J'ai bien sûr quelques matinées, où le marchand de sable a laissé quelques grains dans mes articulations. Des journées où il m'a fallu deux à trois heures, pour huiler la machine. Mais la plupart du temps, mon blocage n'excède pas 15 minutes. C'est d'ailleurs l'un des signaux que je prend au sérieux. Si trois jours d'affilés, plus de 20 minutes me sont nécessaires pour lubrifier mes articulations, c'est le signe d'une poussée inflammatoire à venir. Le plus dur encore, pour moi, c'est lorsque ces grains sont coincés dans les côtes ou les vertèbres. Immédiatement, je me sens étriquée, bloquée dans mon propre corps. Et invariablement, les mouvements amples de la cage thoracique deviennent douloureux. Le pied, le genou, l'os iliaque, les cervicales, passe encore. Un peu moins pratique au petit déj, lorsque ce sont les poignets, les doigts, ou plus drôle les mâchoires.
Au moment du diagnostique, j'ai très vite explosé le plafond de verre de mes propres limites. Lorsque j'ai fait la plus forte poussée inflammatoire de toute ma vie. Lorsque respirer était douloureux, que je sentais chacune de mes côtes frémir, me serrer, m'étouffer, parce que le mouvement titillait la synovie; quelque soit la position adoptée. Il ne s'agissait pas simplement de la limite physique de ne pas pouvoir agir, comme lorsque l'on est anesthésié, mais surtout l'action elle même était source de souffrance. Je n'ai jamais été tabassée, au point de ne pas me relever, mais c'est ce que je ressentais à ce moment. Bien pire qu'un covid ou un bon état grippal. Inutile de dire, qu'à ce moment, précis, les médicaments ne semblaient même pas agir. C'est une douleur intense, que vous inflige votre propre corps. Une douleur qui déclenche vos larmes. C'est pourquoi ce type de rhumatisme, est classé comme maladie auto-immune. La réaction inflammatoire étant le résultat d'un déséquilibre à l'intérieur du corps, qui au lieu de protéger, détruit. Notre corps est une machinerie extraordinaire, mais quand on a une maladie auto-immune, l'on se rend bien compte que l'équilibre est fragile. L'on bascule surtout, dans le monde, où tous les jours nos limites se révèlent.
Depuis la mise en place de mon parcours de santé, je me suis surtout rendue compte que mon rhumatisme inflammatoire chronique m'avait offert deux nouvelles compagnes de vie. Douleur et fatigue. J'ai choisi de les appeler compagnes de vie, car elles sont mes conseillères quand à ma prise de médicaments, mon état d'urgence ou non de prendre un nouvel rendez-vous médical. Mais, elles sont bien des désagréments au quotidien.
J'ai mal absolument tous les jours. Parfois cela se traduit par une simple gêne dans l'une de mes articulations, parfois cela va jusqu'à me déclencher des larmes de souffrances. Toute femme qui a accouché, tout homme ayant eu des calculs, connait ce désagrément physiologique. Lorsque vos yeux pleurent d'eux même, vos poils se hérissent, lorsqu'une simple brise, déclenche un frisson désagréable de gêne, au point que la douleur tape dans le crâne. L'on pourrait écrire des livres entiers sur la douleur, d'ailleurs il s'agit d'un sujet de recherche. Mais, pour tout malade comme moi, elle n'est pas une simple échelle, un symptôme à caractériser, elle est présente absolument tout le temps. L'avantage, avec un suivi médical strict, une vie régulée, c'est que les poussées inflammatoires s'éloignent les unes des autres, et que la douleur est bien plus souvent une gêne, qu'un mal intense. L'on apprend à vivre avec, on apprend à l'utiliser comme baromètre de son mal-être. Je suis intimement convaincue que l'on peut mieux vivre avec, lorsqu'on la regarde en face, et lorsqu'on la laisse être notre conseillère. Inutile de chercher à l'écarter ou à l'exterminer. Je sais bien que débarrasser le monde de ses souffrances est un but louable et honorable, mais parfois les souffrances sont aussi absolument nécessaires. Je vous laisse imaginer le niveau nécessaire d'énergie, de charge émotionnelle, de charge mentale qu'occupe cette voisine, qui sait se faire discrète, grâce aux traitements. Avec laquelle le dialogue est possible, afin de la laisser s'exprimer suffisamment, pour que notre cerveau puisse la contenir, la contourner, la prendre en compte sans qu'elle nous submerge. Avoir mal, tous les jours, c'est aussi, avoir conscience que la vie, la santé, le fonctionnement d'un organisme est fragile et qu'un grain de sable peut vite enrayer la machinerie humaine de génie que l'espèce humaine est.
Ma seconde compagne, est d'apparence plus cool, plus tranquille, moins envahissante ou invasive. Mais fatigue, cache bien son jeu. Laisser moi vous l'a présenter. Vous vous levez le matin, un peu rouillé, mais concrètement ça va. Vous avez une énergie au top, vous vous activez, mais subitement, vous avez besoin de vous pauser. Enfin de vous pauser, vous ressentez le besoin de vous allonger. Parfois de fermer les yeux. Et en fait vous vous réveiller, hagarde, désorientée. Fatigue, est un peu plus sournoise que douleur. Vous pouvez avoir prévu une sortie l'après-midi, pas grand chose, peut-être un tour du parc, mais au moment de partir, elle sera bien présente, bien envahissante. Que faire, annuler la sortie prévue, décliner l'offre de dîner chez des amis, ne pas aller à un événement familial car c'est trop, ne pas aller faire vos courses car vous ne pourrez pas les ramener, poser un arrêt maladie pour asthénie? Alors oui, fatigue est moins impressionnante, moins visible aux autres, mais elle est bien plus coquine. Tout le monde peut comprendre, que vous ne dansiez pas un twist, quand on vous voit boiter, grimacer à chaque mouvement de genou. On vous proposera même une chaise, voir une crème antidouleur; une remède de grand-mère pour la grand-mère que vous paraissez être. En revanche, il sera beaucoup plus difficile d'accepter que vous annuliez à la dernière minute toutes les propositions, parce que vous êtes fatiguée. Peut-on en vouloir à la société de ne pas être patient avec les patients? La fatigue est l'un des symptômes les plus communs d'un problème mineur, ou majeur de santé. La fatigue est aussi un discriminant générationnel. Les personnes très âgées, les membres les plus proches de mon entourage, me comprennent à cette lueur particulière qu'ils lisent dans mon regard. Ils y voient la place que prend cette coquine de fatigue. Les moins âgés, les moins marqués par les épreuves de la vie, ceux qui regardent sans observer votre cœur, eux, ne voit qu'une quadra qui ne se bouge pas beaucoup, et parle peu. Peut-on en vouloir, aux autres de ne pas accepter que chaque humain a sa mélodie personnelle à jouer. Chaque tempo ne pouvant forcément se calquer sur la course effrénée que nous nous imposons en tant que société développée outrageusement concurrentielle.
Mes deux compagnes sont intimement liées. Si fatigue prend beaucoup de place, alors j'ai moins d'énergie pour parler et accompagner douleur. Si douleur s'active, alors je sais que quelques jours plus tard, fatigue occupera tout l'espace.
Ensuite, il y a les désagréments que l'on découvre au fur et à mesure de la lecture des notices des différents traitements testés, à tester et autres.
Mon traitement de fond par exemple, à comme conséquence d'appuyer sur le levier de l'une de mes compagnes. Sur la notice, il est clairement indiqué, qu'après la prise de ce médicament, je subirai une fatigue intense de 24 à 72 heures. Sur la boite, la signalétique effets sur la conduite et interdit aux femmes enceintes est bien visible. La première fois que j'ai lu, cet effet secondaire, et après que ma rhumatologue m'ait présenté le traitement, j'ai longuement réfléchi au moment de sa prise. Je dois prendre mon traitement une fois par semaine. Etant une jeune maman active, j'ai choisi de prendre le médicament le vendredi soir. Cela me permettait de m'assurer que le week-end je n'étais pas seule avec mon enfant, je n'avais pas à conduire, et moins de responsabilités professionnelles. L'effet secondaire, non précisé, mais qui pourtant est devenu une réalité, c'est que ma vie sociale en a été en conséquence plus que limitée. Lorsque vous tomber de fatigue dès le vendredi soir, et une fois sur deux, jusqu'au lundi soir, un restaurant entre amis le samedi midi, une visite de musée, que dire d'une soirée de mariage, tout vous épuise. Et la fatigue, peut être telle, que vous annulez de plus en plus souvent toute occasion sociale qui pourrait vous faire oublier quelques instants que vous avez mal.
Avec les traitements, viennent les effets secondaires et les effets indésirables. Alors dans le désordre, il y a les conséquences sur vos intestins, votre estomac, vos migraines. Des coup de faim ou au contraire des pertes d'appétit. Mais il y a aussi, les remontées acides, les ulcères, les problèmes gastriques en tout genre. Vont avec, la possibilité de comorbidités: cholestérol, diabète, dépression, uvéites, et autres inflammations se terminant en -ite. Le plus dur pour les médecins est de déterminer, si tous ces maux que vous allez tenter de décrire au mieux, souvent dans le désordre, sont la conséquence d'une évolution de votre maladie, de la prise d'un traitement, ou une apparition d'une comorbidité. Et comme la nature est bien faite. Votre corps peu à peu s'habitue à certaines molécules, elles agissent moins, elles sont moins efficaces. Il vous faut alors changer de traitements. Un nouveau cycle recommence. Tester des traitements, stabiliser des traitements, puis découvrir de plus en plus d'effets indésirables, peser la balance bénéfice/ risque et décider des mesures à suivre. Il s'agit du travail des médecins, mais ils ne peuvent le faire, qu'à la condition que nous, patient nous impliquions dans notre parcours de santé. Sauf que pour s'impliquer, il faut que l'on comprenne, non seulement notre maladie, son évolution, mais aussi, les conséquences de chaque traitement. Vous voyez venir le problème. Avez vous déjà déplié et lu la notice d'une boite de médicament? Moi, oui, et sincèrement, entre le jargon chimique, le jargon médical, la taille de la police, les trois quatre proportion présentées de ci de là, et la longueur du texte, il vaut mieux être en possession de toutes ses capacités cognitives, pour comprendre le texte.
Un autre effet secondaire, bien plus problématique est l'accoutumance aux traitement et l'addiction aux médicaments. Pour ne parler que du doliprane par exemple, un antidouleur de base. A forte dose, il détruit le système rénal. Au dessus, nous trouvons les opiacés. L'opium était apprécié au XIX° siècle dans les fumeries, mais bonjour les dégâts! Pour ma part, je réfléchis encore à deux fois avant de prendre un antidouleur. Je préfère souvent me passer de substitut et souffrir que de tomber dedans. Pourtant c'est bien magique comme produit, pendant quelques heures, rarement plus de quatre heures, s'ils sont vraiment efficace, je n'ai plus de message douloureux. Par contre, je suis légèrement stone. C'est un effet grisant, mais à partager avec personne. Pour le moment, je sens immédiatement ma perte de capacités cognitives, c'est d'ailleurs à cause d'elle, que je suis plus que prudente dans l'usage de ces substances. Je n'oublie jamais que tout médicament est à l'origine un poison. C'est assez particulier d'avoir conscience qu'un produit peut vous apaiser, rendre invisible votre compagne douleur le temps de quelques heures, mais que dans le même temps, cette substance peut vous détruire d'autres organes, d'autres systèmes.
Pour moi, à ce stade de ma maladie, les désagréments sont dans cet ordre, mais ce n'est pas parce que vous connaissez un chat que vous connaissez tous les chats. Pour d'autres, j'ai bien conscience, que l'ordre est différent, la proportion de chaque désagrément diffère.
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