Vivre avec un rhumatisme inflammatoire chronique c'est vivre non pas avec la douleur mais avec des douleurs.
Il est très difficile pour nous, d'expliquer ce que nous ressentons vraiment comme douleur. Même si nous pouvons tenter les comparaisons. En réalité, c'est toujours très difficile de décrire une douleur. Notre corps est assez bien fait en plus, même pour une douleur vécue, la mémoire fera son travail, bien que le corps n'oublie pas, l'esprit lui, va progressivement relativiser, diminuer le ressenti, et au final on ne se souvient pas si parfaitement que cela de ce que l'on ressentais. Il n'y a qu'à voir, la vie des femmes, lorsque nous accouchons, il y a de la souffrance et des douleurs, mais au bout d'un an, puis de dix ans on oubli. Si notre cerveau ne réagençait pas ce souvenir douloureux, nous n'accoucherions plus; mais le corps est bien fait. Le problème c'est que pour comprendre la douleur ressentie par un autre, il faudrait l'avoir déjà à minima vécu et ressentie soit même.
De plus, la douleur est un élément très personnel. Notre seuil de tolérance à la douleur est individuel, et peut évoluer dans le temps. Ce qui était insurmontable avant peut devenir tolérable. Il n'y a qu'à penser aux égratignures. Enfant, elles nous déclenchaient pleurs et souffrances. Rien que de penser passer un antiseptique sur la plaie pouvait nous faire monter les larmes aux yeux. Tout simplement car il s'agissait des premiers ressenties, des premières fois. Adulte, une égratignure, est désagréable, mais plus intolérable. C'est un peu pareil, avec mes douleurs rhumatismales. J'ia mal aux articulations, mais je reconnais, et connais dans mon corps les effets de cette douleur. Je peux mentalement la circonscrire, et ainsi m'en faire une représentation mentale. Aussi, à force, oui, on vie avec les douleurs que l'on connait. Elles ne sont pas totalement inaperçues, mais habituelles, usuelles.
Il existe des douleurs bien plus difficiles à vivre et à comprendre que d'autres. Les douleurs psychiques en font parti. Si vous faites parti du quart de français ayant vécu un état dépressif, je n'ai pas besoin d'expliquer, comment ces douleurs particulières nous déstabilisent, nous paralysent. Les autres ont beau nous dire de nous bouger, que ce n'est pas grave, que ça va passer, en réalité, notre état psychique vie un tel état de souffrance, que nous n'entendons que partiellement le message plein de bonnes intentions qui nous ait donné. Notre cerveau, tourne en boucle sur ce qui ne va pas. Parfois adjoint de cauchemars, de terreurs, de frayeurs, de délires. En fait, tout est logique, car le cerveau cherche une solution à un problème qui pour lui est insoluble. Des études récentes viennent de démontrer que les douleurs psychiques (tel que la dépression, qui est la comorbidité principale de toutes les maladies chroniques) se traduisent dans le corps. Les patients ont effectivement des signes cliniques observables, de ralentissement de la pensée, de baisse de niveau d'énergie ou autre. Mais il ne suffira pas de traiter les symptômes physique, car le mal est psychique. Il va falloir du temps et accepter cette nécessité de temps, pour peu à peu y voir plus clair et ainsi démêler les fils de sa psyché. Sauf que tout le travail est personnel et que la solution l'est aussi. Mais il faut beaucoup de patience, et beaucoup d'indulgence avec soi même pour s'en sortir, ou trouver un équilibre, qui nous permette de ne pas sombrer dans nos propres ténèbres.
Très souvent associées à ses douleurs psychiques, se trouvent les douleurs émotionnelles. Lorsque notre ego est blessé. Lorsque notre image personnelle, ce qui fait que nous avons un amour propre est atteint et que l'émotion négative nous fait vaciller. Les douleurs émotionnelles, on les connait en tant que parent, lorsque tout d'un coup notre petit en bas âge, pleur, s'agite, s'énerve. Quand il fait une "crise" lorsque l'on vient le chercher à la crèche. En fait, c'est une décharge, et cette décharge est bruyante et possible que parce que bébé est en confiance et retrouve sa figure d'attachement. Adulte, l'on vit les mêmes choses, mais l'on ne s'autorise que rarement à décharger nos émotions, à lâcher prise et laisser passer le trop plein émotionnel. Tout simplement car nos codes sociaux ont exclus les émotions de nos vies sociales, oubliant qu'elles font partie de nos vies. En faisant ainsi, l'on a aussi oublier comment les exprimer sans brutalité, nos émotions. Quand on vie au quotidien avec des douleurs physiques, c'est la charge émotionnelle négative qui est trop lourde à porter, à la fin de la journée. A cause du nombre de mini frustrations, du nombre de messages douloureux reçus, du nombre d'émotions négatives qui se cumulent; le vase émotionnel est très souvent et très rapidement plein. Alors, vivre avec des douleurs chroniques enclenchent aussi des douleurs émotionnelles fortes; ou tout du moins une sensibilité plus forte à nos émotions.
Viennent ensuite les douleurs physiques. Nous avons l'habitude de l'échelle de 1 à 10 utilisé par les urgentiste, pour permettre de quantifier une douleur. Mais pour autant, décrire l'intensité d'une douleur physique, est ce vraiment suffisant pour décrire une douleur?
- Il existe les douleurs aiguës, celles que l'on connait avec une rage de dents, une otite, une crampe intestinale. C'est une douleur vive, intense, qui vous clou sur place. C'est une douleur rare, et rapide. Une fois le message douloureux envoyé par nos nerfs, le cerveau active des endorphines, afin de réduire le message douloureux. Certaines migraines, sont de cet ordre là. Quand cela arrive, une seule solution, le repos et des anti-douleurs. Et prendre son mal en patience, elle finira par passer cette douleur vive. Pour moi, comme pour tout le monde, ce genre de douleur est rare. Mais c'est le niveau que je peux atteindre pendant une forte poussée inflammatoire. Et dans ce cas, pas le choix, il faudra patienter.
- Viennent ensuite, les douleur intenses et prolongées, comme avoir une tendinite, ou ce que l'on vie lors d'un accouchement. Lorsque l'on a une tendinite, la douleur est sourde, mais on a mal à chaque fois que l'on bouge. Pour un accouchement, c'est plutôt progressif. La douleur est forte, mais monte au moment des contractions, et sont espacées. Clairement, ce sont des douleurs que je connais très bien, car mon rhumatisme s'attaquent en priorité aux tendons de mes articulations. Lorsque je grimace, souffle, voir râle, en fait c'est souvent à cause de ce type de douleurs.
- En dessous, on trouve les douleurs modérées. Quiconque a déjà souffert d'une bonne grippe, connait les courbatures pendant, et l'état légèrement vaseux au moment de la rémission. Il est fréquent que nous soyons encore un peu flagada, pas très en forme, avec quelques petites courbatures par ci par la, quelques jours après la fin d'une grippe. C'est un état assez fréquent pour moi. Il s'agit de mon état de stabilité. Pour moi, vivre avec un rhumatisme inflammatoire chronique, c'est avoir les symptômes d'une grippe sans la fièvre. Ce n'est pas un état qui nécessite forcément la prise d'antalgiques, parfois de quelques antiinflammatoires, lorsque les courbatures durent et perdurent plus de deux jours. Mais concrètement, on vie avec ses douleurs. Elles sont supportables. c'est pourquoi, un "bon jour" pour moi, pourrait être vécu comme une très mauvaise journée pour une personne ne connaissant pas de messages douloureux quotidien.
- En dessous, se trouve les douleurs très modérées. Le message douloureux est bien présent, mais peu intense, c'est davantage diffus. Si je parle aux femmes du syndrome pré-menstruel, la plupart identifieront ce que je veux dire. Mais pour rendre plus clair mon propos, je dirai qu'il s'agit d'une douleur similaire à un mal de ventre, parce qu'on a un peu trop mangé. Le message douloureux est bien présent, mais intermittent, diffus, surtout très peu intense, très peu fort. C'est un peu comme avoir un rhume un peu persistant. On est pas très bien, on a un peu mal, mais c'est vraiment supportable. Par contre, l'on n'est pas au meilleur de sa forme, on a besoin de faire davantage de pause et on a besoin d'être coconner.
- Tout en bas du classement, se trouvent les gênes. Ressentir un poids dans tel ou tel endroit, une pesanteur. C'est gênant, mais pas vraiment douloureux. Ce n'est pas non complètement l'absence de douleurs, puisqu'il persiste un ressenti désagréable. Pour autant, cela reste une gêne qui peut réellement bloquer nos mouvements. lorsque l'on a un point de côté, l'on arrête de courir, lorsque l'on a une gêne pour bouger son épaule, l'on se met à porter els charge avec l'autre épaule. Le problème, c'est qu'alors l'on prend des postures qui sont mauvaises à la longue et peuvent provoquer de nouvelles douleurs.
Remarquez l'ensemble des maux que je décris, sont vécus comme intolérables pour beaucoup de personne. Mais quand on a des douleurs chroniques, c'est vraiment pas compliqué. Pourtant, selon mes propres critères, avoir un niveau de douleur, si bas, par intermittence, avec un message douloureux diffus, c'est plutôt une bonne journée. Je comprend bien la stupeur que je lis parfois, lorsque je dis que ça va, mais qu'une légère grimace traverse mon visage. En fait, pour moi, la douleur est supportable, même si elle me fait grimacer. Je me sens donc très souvent en décalage, car mon seuil à la douleur est élevé, ma tolérance à la douleur aussi.
Quand on vie tous les jours en ayant mal, c'est comique d'entendre "prend un spasfon, un doliprane..."Et je parle, même de soignant. Mon gynécologue, m'a déjà fait cette remarque lors de plusieurs consultations. Absolument aucun jugement de sa part. Il part du principe que ce n'est pas normal d'avoir mal, ce qui est une bonne chose pour les femmes qu'il suit. Mais faire cette remarque à une patiente qui vie au quotidien avec des douleurs chroniques, qui ne sait pas ce que signifie une journée sans douleur, c'est assez incongru, même en partant d'une volonté de soin. Déjà, parce que la patiente en question a déjà pris un doliprane, ou autre. Puis parce que la patiente a en stock bien plus fort que ces médicaments. Et enfin, tout simplement, parqu'en ayant mal tous les jours, même dit avec les meilleurs intentions, on sait que malheureusement ça ne fonctionne pas forcément.
Je fais parti des malades, qui pour le moment n'a pas connu de journée avec absence de douleur. J'ai donc un rapport particulier à la douleur, car elle fait parti de mon quotidien. D'autres patients ont la chance de ne plus avoir de message douloureux, pendant quelques semaines, voir quelques mois, mais leur poussée inflammatoire peuvent être bien plus terrassante que les miennes. C'est pourquoi, même si les douleurs font parti de notre vie, nous ne les vivons pas tous de la même façon. C'est pourquoi aussi, même si dans votre entourage vous connaissez un rhumatisant, en fait vous ne connaissez pas forcément tous les rhumatisants. N'oublions pas non plus, que ce sont nos articulations qui sont touchées et douloureuses. Croyez moi, avoir mal aux côtes, c'est différent d'avoir mal aux mains ou aux pieds. Ce ne sont pas les mêmes postures d'attente que nous prenons, pas les mêmes mouvements qui sont bloqués. Pourtant nous avons tous mal, mais pas de la même façon.
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