L'une des caractéristiques des maladies inflammatoire chronique, c'est que de temps en temps, tout s'enraye. Un tout petit changement, vient complètement bloquer la machine et tout se dérègle. Le déséquilibre, au profit de votre santé se met en place. La chute, ou rechute, en tout cas votre état se dégrade plus ou moins vite. Et ensuite, le chemin est très long pour revenir à un état de stabilité, un équilibre tout aussi précaire mais néanmoins plus facile à vivre.
Le grain de sable.
Le grain de sable, n'est pas toujours très gros.
Parfois, c'est une poussée inflammatoire plus forte que les autres.
Parfois, c'est un de nos traitements que l'on ne supporte plus.
Parfois, c'est un état de stress, complètement extérieur, une charge de travail, un événement de vie, mais qui nous fatigue tellement que cela nous rend plus fragile.
Parfois, c'est une autre maladie, dite classique, un rhume, une grippe, une otite, un virus.
Parfois, c'est le rhumatisme qui prend plus de place et grignote davantage les articulations.
Parfois, c'est un trop plein de toutes petites poussées inflammatoires.
Parfois, c'est à cause d'une fatigue un peu plus forte, parce que tous les jours les douleurs sont présentes.
Parfois, c'est l'apparition d'une comorbidité, que ce soit un signe d'appel, une alerte, ou une franche installation d'une autre maladie chronique.
Parfois, c'est un cumul de tout ces petits grains de sable qui en forme un plus gros.
L'arrivée du grain de sable est assez rapide, car notre organisme luttant en permanence contre une inflammation, avec ou sans traitement de fond, est en lutte permanente. Il est plus sensible, plus fragile, et plus facilement une poussière, qui serait vécue comme telle par les autres, devient chez nous un petit caillou.
Petit aparté, ce n'est pas pour rien que des campagnes sont organisées, pour inviter les patients chroniques à se faire vacciner contre la grippe. Chez les non malades, l'expression du virus, les rendra malade, une bonne semaine, les épuisera, les fatiguera. Mais chez un patient chronique, tout va se déséquilibrer. Non seulement, il serait très malade, frôlant bien plus facilement un état critique, tout simplement car au quotidien son organisme lutte déjà, ajouter un agent pathogène est délétère pour ce patient, mais en plus il mettra bien plus de temps à s'en remettre.
La machine s'enraye.
Lorsque le grain de sable, caillou, pierraille, roc arrive dans notre vie, ce n'est pas toujours prévisible.
Parfois, cela est soudain et met un coup d'arrêt à notre quotidien, rendant nos difficultés tout de suite plus visibles pour notre entourage. Lorsqu'en une semaine, l'on n'arrive plus qu'à faire des petits tours de 500 mètres en quinze minutes, lorsque l'on s'épuise d'une simple course, lorsque l'on se plaint plusieurs fois par jour de douleurs, lorsque même nous tenir par la main nous déstabilise, lorsque l'on prend plus de temps pour chaque geste du quotidien.
Parfois, c'est plus lancinant et progressif; ce n'est pas toujours visible, même pour nous. Dans ces cas là, j'avoue ne pas moi-même percevoir que je suis en train de franchir mes limites, que du simple manque d'huile, de graisse dans l'engrenage, en réalité un grain de sable est en train de devenir un gros caillou et de bloquer l'ensemble de mon organisme.
Lorsque le grain de sable en fini par bloquer l'engrenage, tout se complique. Ce n'est pas simplement une articulation, qui est plus douloureuse, ou moins mobile. Ce n'est pas simplement une fatigue un peu forte, nécessitant une plus longue pause. Ce n'est pas seulement quelques désagréments digestifs, à cause des traitements. Ce n'est pas juste un passage moins bien. En réalité, lorsque le grain de sable, devient un peu gros, cela devient un déséquilibre de l'ensemble de notre état de santé.
Lorsque le caillou s'installe, il se transforme assez rapidement en rocher, bloc. Lorsque notre vie est tellement déstabilisée que nos routines de soin ne sont plus possibles, ou plus difficile à mettre en place. Le blocage, le mal-être, la descente se poursuit et est encore un combat supplémentaire à mener.
En état global de déséquilibre depuis maintenant pratiquement trois mois, cela commence à véritablement me peser. Je me suis vue peu à peu, avec une incapacité de plus en plus forte. Des difficultés parfois nouvelles, nombreuses, et touchant absolument tous les pans de ma vie. Peu à peu, ne plus être capable de faire ne serait-ce que dix minutes de vélo d'appartement, prendre plus de temps pour me rendre à mon arrêt de bus le matin, ayant davantage besoin de m'allonger au cours de mes journées, être quand même bloquée dans mes mouvements malgré mon dérouillage matinal, me retrouver en difficulté cognitive telle qu'une tâche professionnelle me demande plus de temps. Cet état de déséquilibre, est un cumul de renoncements: moins de sorties, moins de visites, moins d'activités plaisantes, moins de temps avec les gens que l'on aime, car l'on ne tient pas. Des renoncements à faire nombreux, sans savoir si ce sont des renoncements temporaires, ou si en retrouvant un équilibre plus supportable, nous pourrons à nouveau tous les inclure à notre quotidien. Ce qui est difficile à vivre, lors de ces moments c'est que l'on a beau prendre soin de soi, faire attention, le déséquilibre reste la. Je sais que cet état est temporaire. Ce qu'en revanche, je ne sais pas, c'est la durée de ce temporaire.
Lorsque j'ai un tel déséquilibre, que je n'arrive plus à marcher autant, à aller à la piscine, que ma séance de kiné est douloureuse et éreintante, qu'il m'est impossible d'avoir l'énergie nécessaire pour faire ma séance de vélo; qu'il est compliqué de poursuivre tout de même à intégrer ces routines. Elles sont très douloureuses, très difficiles. Lorsque cet état de déséquilibre s'installe, la déprime n'est pas loin. Pour le coup, même en faisant, même en se bougeant, même en s'activant, les douleurs, les fatigues, les maux en tout genre se poursuivent. Aucun symptôme ne se réduit franchement. On a l'impression, de perdre pied, de ne pas être maître de grand chose. On se fait vite à l'idée de devoir souffrir. En revanche, il est beaucoup plus difficile de se faire à l'idée de renoncer, car dans ces moments de déséquilibre, qui perdurent, je ne peux pas en faire autant qu'avant ce déséquilibre. J'en finis très souvent à me demander, que vais-je perdre cette fois-ci?
A force, d'inactivité, ou de fortes douleurs pour mettre en place la routine si nécessaire à un état de usuel de mon organisme, chaque séance devient davantage difficile. De la même manière qu'un cercle vicieux, la limitation du mouvement, car l'on n'est en incapacité de les faire, entraîne une incapacité plus forte. Pourtant c'est nécessaire, car sans ce mouvement, le grain de sable a enrayé la machine, et la machine s'arrête. Mentalement, cela nous demande une grande force, et c'est bien notre entourage, nos soignants, qui peuvent être pour nous un soutien bienveillant. Ils sont notre béquille psychique, émotionnelle pendant ces passages tellement longs. Nous ne leur disons pas assez, mais nous savons à quel point notre entourage est une ressource.
Les périodes de déséquilibres, qu'elles durent un mois, six mois, un an, deux ans, sont très compliqués pour nous, mais aussi pour notre entourage quel qu'il soit. Lorsque j'entend mon mari, s'inquiéter, car lui a vraiment conscience de ma perte de capacité, de mes difficultés qui s'accroissent, elles sont tellement visibles de semaine en semaine et du fait qu'à côté, je ne lâche pas grand chose, je fais de mon mieux et mon maximum pour continuer à bouger, pour continuer à me soigner. Quand il s'inquiète et tente du mieux possible de m'aider, sans faire à ma place. Quand il essaie de me remonter le moral, parce que j'ai un petit coup de mou, au bout de trois mois de dégradation successive. Quand il s'inquiète, mais que je ne suis pas en état psychique et émotionnel de recevoir cette simple marque soutien et que je parai peu reconnaissante. Et que pourtant, il ne me le reproche jamais, car il sait qu'au quotidien la suite, le retour à l'état d'équilibre sera long. Il subit ce déséquilibre, qui remet en cause parfois notre vie familiale, ma vie sociale et est bien plus qu'une petite crise passagère. Mais il sait aussi, car nous l'avons déjà vécu, ce moment d'instabilité, de fortes fragilités, de pente glissante et de descente toujours plus bas, qui nécessitera ensuite un combat tout aussi long de rééquilibrage. Un retour à l'équilibre, qui sera dans un premier temps personnel, et nécessitera encore de sa part, patience, soutien, bienveillance. Puis une fois l'équilibre physique, émotionnel et psychique retrouvé, ce sera au tour de l'équilibre exogène, en commençant par l'équilibre familial, professionnel et social. (Pour le moment, c'est dans cet ordre de priorité que je met mes pans de vie, puisque le travail participe à ma vie sociale, mais peut-être que tout sera chamboulé et réorganisé après ce passage à vide qui traîne en longueur).
Lorsque l'équilibre sera à nouveau présent, que je pourrai comparer l'avant et l'après, de cet état de crise semi-permanent, quels renoncements seront à faire définitivement? Je ne peux pas le savoir à l'avance, je n'en suis pas inquiète, ou angoissée, pour moi personnellement, je sais simplement que de nouveaux deuils se préparent, et que je devrai-encore travailler sur moi, pour les accepter. Que potentiellement, je vais encore devoir prendre du recul, réfléchir me poser, pour retrouver un équilibre de vie. Que ce nouvel équilibre à retrouver en sortie de crise, aura forcément un impact sur ma famille. Le déséquilibre étant global, en ce moment, il demande une forte adaptabilité à mon entourage. Mais je sais, que lorsque l'équilibre sera à nouveau permis, il redemandera à mes proches à nouveau, un travail pour revenir à un équilibre supportable pour tous.
Il y a mes proches, ceux qui au quotidien vivent avec moi, ils constatent de jour en jour la dégradation de mon état global. Et j'ai la chance inouï, d'avoir des proches empathiques. Il y a ceux, amis, famille élargie, collègues attentionnés, autres patients, qui ont toujours été en capacité d'une écoute bienveillante, sans jugement, qui connaissent les tenants et aboutissants d'une maladie chronique, et qui sont finalement une petite aide passagère non médicamenteuse bienvenue. Ils n'ont pas forcément conscience, à quel point le simple fait de nous écouter, de ne pas nous donner de conseils, de faire preuve de patience face à tous nos refus, est bénéfique pour nous. Et puis il y a les autres, entourage plus ou moins lointain, éduqué ou non aux conséquences des maladies chroniques et du handicap- qui au mieux ont parfois quelques paroles pleines de bonne intention, tellement douloureuses pour nous; au pire, ne font pas grand cas de ceux qui les entourent et dans ce cas, sont clairement à éviter lors de ses périodes de fragilités.
Je suis contente que mes collègues prennent de mes nouvelles, mais comment leur expliquer, que même si je fait attention, même si je prend soin de moi, cette fois-ci mon état n'est pas juste une petite poussée inflammatoire, qui demande quelques conciliations de leur part, mais bien une période de déséquilibre, à durée indéterminée. J'ai pu leur dire que ça allait mieux, ce qui est vrai, le pic est terminée, mais que pour autant, ma situation n'est absolument pas revenu à la normalité qu'ils me connaissent. Bénéficiaire d'une RQTH, le mot "normalité" n'a pas tellement de sens pour moi. Mais pour les autres, c'est un critère de repérage important. Malgré tout, je fini ma semaine sur les rotules, toujours en incapacité de me mouvoir très longtemps, je continue de souffrir. Je sais que je n'ai pas pour habitude de me plaindre sur mon lieu de travail, ni de vraiment montrer ou m'apitoyer sur mes difficultés quotidiennes, ce qui explique sûrement en partie que j'entende dans certaine réaction de mes collègue, une difficulté pour comprendre la différence entre mes petits râles, ou moments où je leur ait demandé conciliation, bienveillance et cette fois-ci, qui pour eux est le premier état de déséquilibre semi-temporaire qu'ils voient chez moi- car cette fois-ci le déséquilibre est tel, qu'il a nécessité un aménagement de poste. A la fois, c'est très flatteur que l'on vous demande comment vous allez, mais d'un autre côté, tellement difficile d'expliquer, voire réexpliquer, que non cette fois-ci, vous avez franchi vos limites, donc vous êtes non pas en simple crise passagère, mais en état de déséquilibre. Et que le retour à l'équilibre sera encore très long. En le réexpliquant, bien que cela ne me gêne pas forcément, cela montre à quel point nos maux invisibles, sont difficiles à percevoir. Les maladies chroniques sont bien un handicap invisible. Et nous sommes nombreux, à faire partie des 80% des handicaps, en difficulté, ou mis à mal émotionnellement par les œillères portées par notre société, surtout dans le monde du travail.
Les épisodes de déséquilibres et rééquilibrages sont longs. Cette lenteur, cette nécessité de ralentir, n'est clairement pas pris de la même façon par tous. La chronicité a cela de compliquer pour l'extérieur. Autant le monde médical en a conscience. Autant les patients le savent, même si cela ne rend pas plus simple de le vivre. Autant certains proches comprennent ses difficultés, cette temporalité lente, traînante. Autant, ces périodes font de nous des êtres à contre-courant de notre société de l'immédiateté, de l'intensité des flux, tout en projetant un immobilisme de ce qui nous défini le plus profondément comme humain.
Au delà des crises passagères, nous rencontrons parfois des épisodes, plus ou moins long, d'instabilité telle, que tous nos pans de vie sont déstabilisés. Tout commence par un tout petit grain de sable, qui fini par devenir caillou, lui même entraînant un enrayage de notre organisme. Dans ces moments là, notre rapport à la temporalité change, se redéfini encore. Notre rapport à la normalité, à notre fil de funambule est aussi fortement modifié par ces événements de vie.
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