Salles d'attente.

 Avoir une maladie chronique, cela signifie forcément fréquenter pas mal de salles d'attente. 



Toute le monde connait l'ambiance particulière que l'on trouve dans une salle d'attente. En principe la moitié de l'humanité connait une fois par an la salle d'attente du gynécologue. Les porteurs de lunettes, tous les 3 ans, la salle d'attente de l'ophtalmologue.


Puis il y a ceux, qui ont le luxe, comme moi d'en fréquenter bien plus régulièrement:

    Salle d'attente du kinésithérapeute

    Salle d'attente du médecin traitant

    Salle d'attente du laboratoire d'analyse

    Salle d'attente du psychologue

    Salle d'attente du radiologue

    Salle d'attente du rhumatologue


Et si vraiment j'étais plus sérieuse encore, je devrai ajouter:

    Salle d'attente du dermatologue

    Salle d'attente du podologue

    Salle d'attente du psychomotricien

    Salle d'attente du chiropracteur

    Salle d'attente du diététicien

    Salle d'attente de l'alpologue

    Salle d'attente du médecin du sommeil. 


Pourtant malgré ma grande pratique, je me pose toujours tout un tas de question sur ces lieux, qui sont pour moi comme autant d'entre-lieu, de zone tampon, des lieux de transition. 



Toutes les salles d'attente médicale, en France, suivent un certain nombre de normes et règles sociales: le silence, le fait de ne pas scruter l'autre patient. C'est assez paradoxal d'ailleurs, notre manière de mettre à distance sociale ce qui est douloureux. Le besoin que nous avons de respecter la norme sociale que notre douleur, nos souffrances ne s'expriment pas dans une salle d'attente. Pourtant, si l'on vient chez un professionnel de santé, c'est bien que notre corps a des douleurs, des souffrances à exprimer, ou  extirper. A la fois, le silence, est d'un bon conseil, pour se concentrer, pour se poser, pour prendre le temps de devenir le patient. D'un autre côté, n'est-il pas simple norme sociale du refus de l'expression des émotions négatives dans une sphère autre que privée? 

Dans toutes les salles d'attente, l'on trouve quelques documents à feuilleter. Que cela soit de l'information médicale affichée, ou une information plus généraliste et passe-partout. Je suis toujours marquée par les affiches et flyers sur la nécessité absolue de l'activité physique et de la prévention cardiaque chez mon médecin traitant. Mais il y a aussi, des lectures plus ludiques. J'aime bien regarder les livres proposés aux enfants. Je trouve que cela indique beaucoup sur les valeurs que portent le soignant. Déjà s'ils sont présents, c'est qu'il considère que les enfants font partis de sa patientèle potentielle. Mais aussi, les choix faits, sont un indicateur de la sensibilité du soignant envers la poésie, les jeux de mots, l'humour, la couleur, le dessin, ou l'éducation. Leurs choix, sont peut-être inconscients, mais ce que l'on donne à lire à un tout petit, en dit bien davantage sur nous même et ce qui nous porte que sur l'enfant qui le reçoit. Ensuite, il y a les lectures de tabloïd. Nous ne sommes pas au niveau anglo-saxon. mais c'est souvent chez les kinés que l'on trouve ce genre de lecture. Comme une invitation à ne pas trop réfléchir, afin d'entrer plus facilement en mouvement, qui de toute façon ne sera pas forcément une partie de plaisir. Et entre les deux, il y a la presse féminine. Serait-ce que les salles d'attente soient davantage fréquentées par des femmes? Lorsqu'il s'agit de gynécologie, aucun doute, mais pour les autres? Quelque fois je trouve un ou deux magazines masculins; mais c'est encore rare pour que cela m'interpelle. Dans la presse grand public que l'on trouve, parfois du jardinage, du scrapbooking, de la cuisine, de la mode, des voyages, très rarement de l'histoire, de la politique ou de l'économie. Trop sulfureux pour une salle où il faut se taire? 

Je ne peux pas évoquer les salles d'attentes sans parler d'odeurs. Pour moi, c'est le premier marqueur territorial. Tout le monde se souvient de l'odeur, non pas de la madeleine de Proust, mais des vacances, du parfum qui y est attaché. Pour la salle d'attente, c'est pareil. Elles ont des odeurs. Celle du dentiste, aseptisée, avec quelques relents de camphre et clou de girofle. Celle du kiné, avec ses crèmes et ses appareils qui ne font pas que du bruit, mais qui parfois sont anciennes, parfois neuves, dont les effluves particulières parviennent jusqu'à la salle d'attente. Tiens, une expérience particulière me revient. Ma médecin traitant a déménagé, il y a quelques année, ma rhumatologue vient de déménager. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, c'est bien le changement d'odeurs de lieu qui m'a immédiatement déstabilisée. Pas seulement le fait de devoir emprunter un nouveau chemin d'accès, de prévoir un temps plus court pour l'une, plus long pour l'autre, pas seulement le changement de luminosité des salles d'attentes, de gain d'espace aussi de leur salle d'attente respectives, mais des changements d'odeurs. A force, par habitude, ces odeurs, sont connotées à des rendez vous avec un praticien, à des temps où je suis la patiente en souffrance et je viens me confier à un autre être humain, bien que spécialiste, je viens donner une part de mon intimité à un autre humain, qui lui doit faire un peu abstraction de son humanité pour me soigner, tout en restant suffisamment humain pour que j'accepte le soin. C'est peut-être tout le but de ces salles d'attentes, cet état de transition nécessaire à notre soin? 


Il y a aussi une particularité avec les salles d'attente partagées. Lorsque plusieurs médecins, dentistes, kinésithérapeutes, partagent la même salle d'attente. Lorsque plusieurs spécialités, se partagent la même salle d'attente. C'est assez classique en radiologie. Nous ne sommes pas encore en hall de gare, mais nous ne sommes plus avec un même soignant. Nous ne sommes même plus tout à fait une même patientèle. Il s'agit davantage d'un patchwork de patients aux histoires différentes, craintes, angoisses, simple rendez vous de routine, retour d'analyses demandées, premier rendez vous. Tous se croisent, sans forcément avoir la même destination, car pas le même soignant. Ces salles d'attentes ont en général, des toilettes communes, parfois un bureau de secrétariat, parfois une machine à café. La manière dont chaque patient entre, se positionne, m'interroge. Son circuit est à la fois très personnel, mais aussi très influencé par la salle elle-même, les odeurs, les couleurs, la présence ou non d'autres individus dans cette salle. Tous nos déplacements, dans ces espaces confinés et ouverts sont totalement inconscients, mais disent beaucoup de nous, de notre humanité et de notre rapport aux autres. Lorsque je quitte ce genre de salle d'attente, j'ai instantanément une image mentale des flux de cette salle. Que je le veuille où non, les parcours de chacun m'interpellent. Il y a ceux qui vont trois fois aux toilettes, ceux qui font des aller-retour vers les revues, ceux qui passent un temps fou devant la machine à café, pour ne surtout croiser le regard de personne, ceux qui sont assis sur leurs chaises, mais le regard tourné vers tout sauf les autres patients, ceux qui au contraire cherchent le contact visuel, voir la conversation, dans ce besoin de se rassurer. Ces salles partagées sont vraiment des lieux de transit. 

La manière dont l'on choisi la chaise où l'on se pose, à côté de tel ou tel patient en est le meilleur reflet. Les humains respectent un certain nombre de règles inconscientes de placement dans une salle d'attente. La prochaine fois, regarder, si une personne est déjà présente, où se place le suivant et ainsi de suite. Vous remarquerez qu'au début il y a toujours un espace entre les patients. Vous remarquerez peut-être une alternance genrée ou au contraire un positionnement genrée, ou par âge. Vous remarquerez aussi les tenues de chacun, et le fait que naturellement nous allons vers celui qui nous ressemble. Une mamie seule, apprêtée comme pour aller à la messe dominicale, à côté d'un punk d'une quarantaine d'année, et d'un ado en survêtement claquette de piscine chaussette, a quelque chose d'incongrue. Mais tellement d'humanités en si peu d'espace, car aucun n'est ici contre les autres, mais en recherche de réponses, en suivi médical, pour prendre soin de lui. Vous remarquerez aussi la position de chaque corps. Vous remarquerez ensuite la posture générale, souvent du replis. En salle d'attente contrairement au métro, les hommes ne prennent pas forcément autant de place, leur position est bien davantage repliée. Fini les jambes totalement écartées, le dos affalé, les bras largement ouverts, le ton fort, le débit sonore important. Comme quoi, si certains hommes se positionnent comme des mal-autrui dans les transports en commun, car socialement espace public, où les femmes doivent encore trop souvent longer les murs, être attentives à la survenue possible d'une forme d'agression, ils sont capables de faire différemment lorsqu'ils entrent en salle d'attente. Alors certes pas tous, mais les quelques rares hommes qui tentent de rouler des mécaniques dans une salle d'attente sont assez rapidement remis à leur place de patient, soit par les autres patients, soit par le personnel. Donc la salle d'attente partagée n'est pas l'égale des autres espaces publics, ou communs. Les règles implicitent, en font un espace sécurisé pour tous. Pourquoi n'en est-il pas de même pour les autres espaces communs partagés? 

Dans ces salles d'attentes partagées, vient le moment du rendez vous. Lorsque le patient est appelé par son nom. Pas très intime comme sensation. Relent de souvenirs d'écoliers, ou de départ en colonie, lorsque seulement le patronyme est donné, par une secrétaire à la voix tranchante, qui vous indique la porte à franchir. Heureusement, il existe du personnel plus humain, moins cassant, moins réducteur à votre seul patronyme. tous ces petits détails sont extrêmement importants, car ils sont des facilitateurs ou au contraire des freins, au franchissement du seuil, nous faisant passer nous de patient en attente, à patient devant un soignant. 

Bien sûr, tous les sens sont envahis par l'atmosphère d'une salle d'attente. Le toucher de la chaise, la luminosité changeante en fonction de la saison, de l'orientation du cabinet. Le choix ou non de fleurs, de plantes. La présence ou non d'un secrétariat et d'une secrétaire plus ou moins discrète. La disposition des fauteuils, leurs couleurs, leurs matières. La présence d'une machine à café ou non. Le revêtement du sol, des murs. Les choix des praticiens sont fait en fonction, avant tout des locaux dont ils disposent, du fait qu'ils soient seuls ou en cabinet partagé, de la somme d'argent qu'ils peuvent attribuer à cet espace; de la nécessité du niveau de désinfection nécessaire. C'est pourquoi les salles d'attente ne sont pas des lieux à prendre à la légère, mais ce ne sont pas non plus vraiment des lieux? Ce n'est pas en salle d'attente que l'on se déshabille. Ce n'est pas en salle d'attente que l'on s'exprime. C'est parfois en salle d'attente que l'on paye, que l'on reçoit un résultat sous enveloppe, que l'on prend le prochain rendez vous. Trois actes privés, qui pourtant sont parfois finalement réalisés devant des co-patients. 


  

Et lorsque l'on fréquente souvent des salles d'attente, on prend l'habitude de patienter. En fait, pas forcément. Il m'arrive encore souvent de m'ennuyer en salle d'attente. Même en ayant l'habitude d'emmener un livre, l'ennui est encore parfois au rendez-vous. Je n'arrive pas toujours à lire en salle d'attente. Chez mon kiné c'est impossible. Ils sont trois, et ont chacun des patients qui arrivent parfois pour dix minutes, ou un quart d'heure. Chez ma psy, pas mieux. Sa salle d'attente est dans un patio, donc lieu extrêmement fréquenté, pas toujours à l'abri des éléments, difficile de se concentrer sur quelques pages, aussi passionnant puisse être le bouquin. Chez mon médecin traitant et ma rhumatologue, dans leurs nouveaux locaux, plus spacieux, avec moins de flux, il est préférable de prendre un bon bouquin, parce qu'il va falloir attendre. J'ai pu finir de corriger quelques copies, malgré les regards réprobateurs des autres patients. J'enviais tous ceux qui bossaient depuis leur ordi et dont personne ne s'occupait. Puis j'ai changé de poste, et j'ai fait comme eux. Cela est moins fréquent aujourd'hui, car vu le nombre de rendez vous médicaux que j'ai, je préfère les poser les jours où je suis en télétravail, pour réellement finir ma journée à 18h et non à 20h après avoir passer 1h chez un soignant. 

Et puis tout monde connaît la loi de murphy des salles d'attente. On arrive en avance, et ce jour là ton médecin a eu quelques urgences, ou contre temps, ton rendez vous aura 20-30 minutes de retard. Alors, non ce n'est pas en fréquentant les salles d'attente que l'on apprend à devenir patient! Puis il y a les rares fois, où tu as cinq minutes de retard, mais ton médecin lui a eu un lapin avant toi, et s'impatiente, voir s'inquiète car tu n'es pas en retard d'habitude. Je vois souvent des patients pianoter sur leur téléphone portable, entre textos, jeux, vidéos, liste de course ou écoute de musique. Les plus embêtants sont ceux qui passent leur coup de fil, ou font des vocaux. Ensuite, il y a les étudiants, lycéens et collégiens, ceux là sont plus drôles, car la salle d'attente pour eux, c'est le temps des devoirs, de relire la fiche de révision. Le plus drôle, c'est plutôt la tête du parent qui les accompagne. Cela oscille entre l'épuisement, la rage, la moquerie, l'agacement, car nos enfants ne sont pas plus sur-humains que nous, et que je les comprend entre réviser dans la voiture avec son goûter, ou faire semblant de réviser sur une petite table en salle d'attente devant un public acquis, le choix est assez vite fait! 

En revanche, il est vrai qu'à force de fréquenter les mêmes salles d'attente, je vois et revois certains autres patients. De là à engager une conversation, et briser le silence attendu de la salle d'attente, il y a quand même un pas qui est très rarement franchi. Ce sont davantage les événements extérieurs, qui viennent briser les tabous de ces entre lieux. Si un enfant est présent, alors la routine sera brisée de part sa naïveté, il ne respecte aucune des règles, souris à tout le monde, partage ou au contraire chouine, voir pleur franchement de douleurs. La présence d'une personne très âgée, qui s'oubli, souvent accompagnée par son aidant, a le même effet. Ces patients ne peuvent respecter les règles implicites des salles d'attentes. Au moins, ces jours là, la routine de l'attente est rompue.  


Je me demande encore parfois si l'ambiance des salles d'attente est influencée par les patients qui les fréquentent ou les soignants qui n'en franchissent que le seuil? Mais si les soignés sont à l'image du soignant, alors les deux influent sur l'ambiance de la salle d'attente? Question bizarre, ou simple question d'une personne qui se retrouve en salle d'attente une à deux fois par semaine? 

En tout cas, je suis certaine, que vous ne vous attendiez pas à ce qu'un patient chronique ait tant de choses à dire sur les salles d'attente! 





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