Dès que l'on sait que les rhumatismes provoquent des douleurs, l'on se doute qu'une partie de ce que l'on appelle l'intimité va être bouleversée par cet intrus à la relation.
Plusieurs sphères d'intimité co-existent. Tout ce que j'estime totalement personnel, restera personnel. Alors est ce mes douleurs doivent rester aussi personnelles? En tout cas, elles sont portées dans ma chaire, mais non visibles par l'extérieur. Pourtant si je n'en parle jamais, ni dans mon cercle intime, comment puis-je recevoir de l'aide, du soutien ou ne serait ce que de l'écoute? Tout autant d'éléments qui participent aussi à l'intimité. Partager une partie de son intimité physique, pour accéder à une intimité spirituelle, et ainsi recevoir suffisamment d'empathie pour remplir son bol émotionnel et recharger ses batteries émotionnelles. Subtil comme concept!
C'est l'extimité qui permet de mettre en relation un patient à son entourage. Et c'est cette extimité qui lui permet de recevoir une autre forme d'intimité, lui permettant de mieux subir au quotidien ses douleurs, de mieux vivre avec. Pourtant c'est cette même extimité, qui peut heurter l'intimité de nos proches. Ce n'est pas parce que j'aime une personne, que je peux ne pas être gênée par ce qu'il partage de ses plus profondes douleurs. Et en même temps c'est parce que je les aime, que j'ai besoin qu'ils se sentent suffisamment en confiance avec moi, pour partager ce qui les préoccupe et fait souffrir, ou au contraire rend heureux.
Dans l'intimité, il y a bien sur l'intimité physique. Sauf que quand on a mal absolument tous les jours, tous les instants, que signifie avoir une intimité physique? Quand rien que se tenir par la main, peut vous déséquilibrer? Quand un effleurement, déclenche, non pas un frisson d'envie, mais un mouvement de recul, car le message douloureux devient insupportable? Et comment l'autre prend-t-il votre mouvement de recul: simple réflexe de survie, dégoût, Rejet?
Et que faire, quand les traitements modifient et jouent allègrement avec votre libido? Que vous n'avez pas envie, mais que cela est indépendant de votre volonté? Comment maintien-on une intimité satisfaisante quand une intruse se met au milieu de la relation?
Que je le veuille ou non, elle sera présente. Soit parce que je fatigue, soit parce que j'ai mal, soit parce que finalement telle ou telle position devient douloureuse. Alors, outre la frustration, le besoin absolu de communication, et surtout d'écoute au sein du couple, il y a aussi la question difficile d'oser parler ou non à ses soignants de ses difficultés?
Au fur et à mesure, tout un tas de petites frustrations se cumulent, pour les partenaires. Que ce soit par craintes de faire mal, par crainte de brusquer l'autre, par obligation de s'arrêter, que ce soit d'adopter une routine, ou au contraire une alternance des positions pour moins souffrir, que ce soit tout simplement par manque de libido, que ce soit parce que l'acte déclenche des douleurs.... Elles sont nombreuses les sources de frustrations sexuelles. Et même en ayant une communication saine, elles sont là. Chacun seul, face à ses propres frustrations, chacun seul avec ses questionnements, ses doutes sur l'importance que l'autre nous donne, le fait que l'on désire encore ou non, que l'on soit désiré encore ou non.
Des conflits peuvent apparaitre. Alors les sexologues diront qu'il faut communiquer. Les psychologues, diront que même le conflit, est une sorte de communication. Mais cela n'en reste pas moins parfois très difficile à vivre, car ces frustrations multiples, à résoudre en continue, peuvent détériorer le lien d'intimité entre les partenaires. Des conflits peuvent apparaitre au sein du couple. Conflits qui peuvent être tels que l'on en perd le goût de la vie, car c'est aussi cela avoir des sphères intimes complètes, cela fait partie du bien être.
A côté de cela, l'intimité physique, est créatrice d'endorphines. Entre la connexion à l'autre, le fait de ne plus être uniquement un corps souffrant, mais aussi un corps capable d'envie, pouvant donner envie, désirable. La sexualité, la tendresse, l'intimité en profondeur, est bénéfique pour un malade chronique. Elle lui montre, que son corps est encore capable de lui procurer du plaisir. Son corps peut émettre des messages de plaisirs, des messages d'apaisement, et pas uniquement des messages douloureux.
Encore une fois, vivre avec une maladie chronique, c'est apprendre non pas à vivre sur un fil, mais à découvrir et redécouvrir sa propre sexualité, à l'aune de la douleur, et de la fatigue. C'est goûter à la saveur douce de la tendresse, et savoir que c'est bien cette tendresse qui prime sur le reste. C'est aussi apprendre à accepter qu'il n'y a aucune règle, aucun schéma à suivre, mais bien des moments plus ou moins intenses, et des jours avec des jours sans. C'est enfin, apprendre à mettre son égo de côté, pour accepter d'en parler avec sincérité, avec son partenaire.
Avoir une maladie chronique qui joue sur son intimité et donc son bien être global, soulève cet ultime taboo. Nous n'osons pas en parler, nous sommes timide, craintif, ayant peur du jugement, avec ce sujet. Alors que mon médecin a besoin de savoir ce qu'il m'arrive pour m'accompagner. Avoir une chute de libido, peut s'expliquer par le traitement que je prend par exemple. Pourtant de la, à en parler ouvertement à son médecin, il y a encore un monde. Être capable de dire que cela devient une gêne, voire une souffrance. Même si les fluctuations de la libido sont classiques dans une vie, normales chez des patients soumis à des traitements, elles ne sont pas pour autant simples à vivre pour tous. De plus, la libido étant très fortement connectée à notre état de santé mentale, la présence ou non d'une dépression jouant son rôle dans la chimie de notre cerveau, premier organe sexuel de l'être humain, est à écarter au préalable. Pour le médecin ce symptôme est l'un des révélateurs de plusieurs maladies. Il cherchera bien sûr, à écarter toutes les autres possibilités avant de se pencher sur le traitement. Mais il sait qu'être bien avec sa libido, participe à l'équilibre de son patient.
De la même manière, éprouver des difficultés physiques, pour une activité qui en principe devrait être source de bien, est encore plus compliqué à expliquer à son médecin. Comment dire de façon simple, que telle ou telle position est plus douloureuse, que telle autre. En nommant explicitement les positions du kama-sutra? J'imagine la scène du patient (homme) atteint de spondyloarthrite ankylosante, ayant des os iliaques soudés à 60%, mimant un coup de rein. Pourtant ce patient souffrira forcément, car plusieurs mouvements, qui ne sont pas qu'utilisés dans l'intimité amoureuse, lui sont au mieux douloureux, voir impossibles. Et cela peut être une véritable souffrance. Bien sur que cela est directement reliée à nos représentations de ce que doit être ou ne pas être une relation intime, de notre société compétitive même dans ce domaine. Mais là encore, avoir de l'arthrite c'est aussi se poser ces questions de ce qui est intime ou non.
Vivre avec de l'arthrite c'est accepter franchir et redéfinir les limites de notre intimité.
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