Quelle est compliquée cette question. Quand on vie au quotidien avec des douleurs et de la fatigue, que signifie "ça va"? C'est une question qui renvoie à la notion de norme. Et qu'est ce qui est normal, lorsque de toute façon on a mal?
Question de politesse, certes, mais qui nous met en difficulté. Je ne sais pas ce que je dois vraiment répondre. Car je ne sais pas ce qu'est vraiment ma norme. Ou plutôt ma norme est évolutive. Ce matin, je peux aller, bien, ce qui ne signifie pas que je vais courir un marathon, juste que mes douleurs sont supportables, que je n'ai pas eu besoin de prendre un traitement. Mais peut-être que dans une heure, deux, voir ce soir, ça n'ira plus du tout. Et puis d'autre fois, c'est un vrai "ça va!". J'ai plutôt bien dormi, j'ai peu de douleurs, j'ai un regain d'énergie. Je suis selon mes propres critères en forme, donc je vais bien. C'est compliqué, de donner une réponse, à cette question, car l'évolution est plus ou moins rapide. Certains jours, cela va évoluer deux ou trois fois en 24 heures. Parfois au contraire, cela n'évoluera que sur quelques jours. Il n'y a pas de constance. Et cette simple question de politesse, mais qui est aussi absolument nécessaire, pour entrer en relation avec l'autre nous désempare souvent. C'est une question que l'on utilise aussi, pour avoir, grâce à l'intonation, au non-verbal l'état réceptif de notre interlocuteur. Nous la posons tous, car c'est l'un des moyens les plus rapides et efficaces, de percevoir l'état émotionnel de l'autre. Mais, il se passe tellement de choses, dans ce simple échange.
La palette des émoticônes est bien plus subtile, que celle proposée. Un "ça va bien", peut être tellement échelonné. Par pudeur, même si je ne suis pas gênée de partager cette part d'intimité à qui me pose la question; toutefois, je ne m'étale pas forcément dans le "ça ne va pas". J'indiquerai juste ce qui ne va pas, une douleur plus forte que d'habitude, une fatigue plus grande, le besoin d'avoir des antidouleurs. Mais je n'évoquerai quasiment jamais, ma tristesse, mes angoisses, mes craintes. Le fait que "ça ne va pas", parce que je suis découragée, parce que j'angoisse; ne franchira quasiment jamais mes lèvres. Il s'agit de mes émotions, qui pourtant gouvernent totalement le regard que je porte sur le monde, mais que je sais très difficile à recevoir. Alors je ne les partagent que lorsque vraiment, je me sens en confiance, et surtout quand j'ai franchi le seuil du "non, ça ne va pas", mais que j'en suis déjà à "non, ça va très mal". En fait, je m'épancherai un peu plus, car j'ai besoin d'aide, d'écoute, de soin. Mais il est difficile de jauger de la capacité d'écoute de l'autre. Qu'est ce que cela peut apporter à l'autre, d'avoir un descriptif détaillé, de tout ce qui fait que ça va très mal, s'il n'est pas mon médecin? En fait, l'autre n'a pas besoin de tout savoir, il a juste besoin de jauger de ma capacité d'écoute. Il a aussi besoin, de s'assurer que je l'écoute, et pouvoir me débarrasser des maux qui m'embarrassent me permettra de mieux me mettre en relation à l'autre. Mais, ce n'est pas si simple, de trouver cet équilibre, entre la sincère inquiétude de son interlocuteur, qui cherche à se mettre en relation à vous, et l'infinité d'émotions et de choses qui font qu'à cet instant précis vous allez plus ou moins bien.
A l'opposé, lorsque je répond "ça va", je ne donne pas d'indicateur du degré. Pourtant la palette est grande. "Ca va", parce que je supporte mes douleurs; "ça va", parce que je n'ai aucune émotion négative; "ça va", parce que je ne suis pas trop fatiguée; "ça va", parce que je n'ai presque pas mal; "ça va", parce que je n'ai qu'une simple gêne; "ça va", car je sens que je peux faire tout ce que j'avais prévu aujourd'hui. Ma réponse sporadique n'est pas un manque de politesse, mais simplement le fait que si je commençait à détailler tout mon échiquier émotionnel, ce serait je pense un peu compliqué de me suivre pour mes interlocuteurs. Et à l'extrémité positive, que signifie "ça va super"? Une journée sans douleur, sans fatigue, sans émotion négative? Est ce que seulement cela existe? C'est une vrai question, ne connaissant absolument pas une journée sans, depuis déjà 4 ans, si je répond "ça va super", qu'est ce que je veux dire? La difficulté, c'est que mon interlocuteur, lui, a peut-être la chance de ne pas porter le même poids que moi. Et c'est tant mieux. Mais il va recevoir ma réponse, l'interpréter selon sa propre expérience, son propre vécu. Alors, toute réponse que je pourrai formuler, même avec sincérité, sans en faire des tas, sera de toute façon interprétée avec le talon de mon interlocuteur. Elle est vraiment déstabilisante cette question, quand on ne sait plus ce que signifie une journée sans soucis.
De la même manière, lorsque l'on revient après une pause sur son lieu de travail. Il est normal, et poli que l'on vous demande, comment vous vous sentez. Mais que répondre au moment de la reprise de travail? Que ce soit en revenant de congés, en revenant d'un arrêt de travail, en revenant après une absence, que va-t-on pouvoir répondre à cette simple question? Je n'en sait absolument rien. Je n'ai pas envie d'entrer dans une explicitation, avec l'ensemble de mes interlocuteurs au travail. Et ils peuvent être nombreux.
Chaque explicitation, c'est ressasser ce qui ne va pas parfaitement. C'est se rappeler sans cesse que la vie sans problème n'existe pas. Alors, il peut arriver que je fasse des choix sur les interlocuteurs à qui je vais expliquer comment je suis. Il ne s'agit pas de mal politesse ou malhonnêteté de ma part, mais d'un simple acte de préservation. Je ne peux pas passer ma journée, à répéter pourquoi mon "oui, ça va!" a une drôle d'intonation. C'est long de choisir les mots appropriés, en fonction de son interlocuteur- je n'explique pas exactement de la même manière ce qui ne va pas à mon enfant, à mon mari, ou à un collègue. Tout simplement, car je n'ai pas la même intimité avec chacun d'entre eux, mais surtout, car je sais, qu'ils n'ont pas la même capacité d'écouter et de niveau de compréhension.
Je n'ai pas non plus pour autant envie, que l'on ne s'inquiète pas, ou ne prenne absolument aucune température de mon état de santé, alors que je dois travailler avec les autres, et que potentiellement mon état de santé, peut nécessiter une adaptabilité pour mes interlocuteurs. Encore, cette histoire, de funambule! Répondre, avec sincérité. Oui, toujours, car le non verbal sera interprété avant même qu'une réponse ne soit formulée dans ma bouche. Mais exposer l'ensemble de mes maux et malheurs, sûrement pas, car il est tout autant difficile d'expliquer et de réexpliquer, que d'entendre et réinterpréter, à autant d'interlocuteurs que compte notre lieu de travail, que l'on va mieux, mais que cela reste un petit "ça va!", qu'il reste des éléments non réglés.
Et accepter de dire cela, lorsque l'on n'est pas dans une relation d'extrême confiance, c'est un acte social d'équilibriste. Montrer notre part d'instabilité, de fragilité, je n'ai rien contre, mais je sais que ce n'est pas si simple à accueillir pour l'autre. Je sais aussi, que je prend un risque en faisant cela. Ecouter vraiment une réponse, à cette question de politesse, demande de prendre le temps de se mettre en relation à l'autre, et en capacité, d'écouter, avec son cœur, avant ses oreilles, et son cerveau. Et comme je sais que moi même, je ne suis pas toujours en capacité d'offrir cette écoute, je ne peux pas en demander plus aux autres. C'est pourquoi, elle est bien plus déstabilisante que l'on ne le pense cette simple marque de politesse. Autant pour le questionné, que le questionneur.
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