La personnification de la maladie.

 Pour faire face, de nombreux malades personnifient la maladie. Et elle a souvent l'aspect d'un monstre. Simple effet de style littéraire? Biais cognitif humain, qui anthropomorphise tout ce qu'il croise? Outils de défense psychologique?




Chez moi, la personnification se traduit essentiellement par celle de mes deux principaux symptômes. Effectivement, j'ai tendance à personnifier "douleurs" et "fatigue". Je tient une page de mon bujo (carnet de note personnel), pour dialoguer avec elles deux. Elles m'empoisonnent la vie. Me prend-t-on pour autant pour une folle, à avoir mon discours intérieur avec ces deux compagnes de vie? Pas forcément, c'est vraiment une réaction de survie. C'est un moyen de mettre à distance ce qui me rend malade. Pour vivre avec, c'est comme si j'avais besoin de leur parler. C'est un véritable dialogue qui s'engage avec elles. Au début, je ne le faisais pas. J'ai même eu tendance à tout rejeter en bloc. Il parait que la réaction psychique de déni et de rejet est totalement normale, lorsque l'on vous annonce que vous avez une maladie dite incurable. Apprendre à vivre avec, commence d'abord par apprendre à faire le deuil de ce qui était. Au bout d'un moment, on fini par personnifier ce qui nous gêne. Comme on le ferai avec un ami, un vieil oncle, un collègue, un peu fatiguant, non franchement, pénible. 

Peut-on parler d'amies? En fait, je préfère les considérer ainsi que comme mes ennemies. Mais je suis à contre courant et je le sais. Si je les prend comme des ennemis, alors un combat s'engage en permanence, jours après jours, heures après heures, minutes après minutes. Ce combat est éreintant. On ne lâche jamais les armes, on est sans arrêt en état de vigilance, le stress est permanent. Sans se rendre compte que justement ce stress, donne l'avantage à la maladie. Il l'alimente, de façon très sournoise, créant ainsi des défaites encore plus difficiles à supporter. Et dans une vie de malade chronique que les défaites sont nombreuses! Bien sûr on peut avoir quelques victoires. Je ne sais pas si ce sont véritablement des victoires, mais plutôt comme le ferai l'état major en mauvaise posture, l'on s'écrit un roman de la défaite, qui transforme nos reculs, le fait que la maladie, avance malgré nos efforts, en semi-victoire. Sauter pour mieux reculer? En fait, besoin pour continuer à les porter ses armes, et à poursuivre les combats à mener au quotidien. C'est aussi, le seul moyen de se repositionner, de choisir sa ligne de front, et ce que l'on est prêt à sacrifier, dans quel ordre. Mais rien de tout ce cheminement psychique et personnel ne se fait sans souffrance. On le fait tous, et on en a besoin. Sinon, c'est la fatalité qui l'emporte. De même, être totalement fataliste, sera aussi mortifère que d'être toujours sur le qui vive. Le fatalisme de la succession des défaites, car nous n'avons pas les moyens de nos ambitions. Comme si on ne pouvait absolument rien faire pour que malgré la débandade, l'on puisse tout de même préserver nos ressources minimales. Si le fatalisme, l'emporte, alors l'on sombre dans une très mauvaise phase. Ajoutant la simple déprime passagère, voire parfois une réelle phase dépressive, donc une autre maladie, à nos combats à mener. En les considérant davantage comme des amies, un peu âgées, un peu casse-pieds, très souvent en mauvaise santé, il est plus facile de les accepter et de vivre avec. Mais pour les considérer comme amies, j'ai besoin de les personnifier. 

Je me demande comment les autres personnifient leur maladie. Je sais qu'en hôpital pour enfant, les psychologues utilisent souvent l'image du monstre. Un petit monstre, que l'on porte sur notre épaule. Moi, pour le moment, je ne les imaginent pas visuellement. Mais pourtant, elles ont toutes les deux, une personnalité, l'une étant plus bavarde que l'autre, plus bruyante aussi. En les considérant, comme des compagnes de vie, à porter tous les jours, à supporter aussi malheureusement, je n'oublies jamais de prendre la température de chacune. Comme je l'ai expliqué dans un autre article, je les trouvent d'une grande aide, comme boussole de mon suivi médical. Mais si j'explique ici, avoir un dialogue intérieur intense avec elles-deux au quotidien, il est peut-être plus facile de comprendre à quel point la maladie chronique a quelque chose d'envahissant pour un patient. Nous ne sommes pas simplement bougon, en colère, frustré, acariâtre, mal poli, nous sommes souvent très souvent en dialogue intérieur, pour vivre avec. Pour beaucoup, c'est avant tout un combat, car la maladie est vécue comme une ennemie à abattre. Je ne peux nier, qu'elle a aussi cette aspect pour moi de temps en temps.  

Mais j'ai un peu plus de mal à personnifier complètement la maladie. Ma difficulté, vient du fait que si je personnifie la maladie, je dois aussi admettre, qu'il s'agit d'une maladie auto-immune. Mes cellules, un peu fofolles, pour les plus sages d'entre nous, complètement azimutées, pour les plus clairvoyants, s'attaquent à mon corps. L'ennemi est à l'intérieur de moi. Il n'est pas externe à moi. Comment personnifier un monstre, qui est soi-même? Je dois me combattre moi-même. A l'instar d'Hercule, d'Ulysse, d'Oedipe, de Gilgamesh et tous ces héros antiques, je dois mener un combat de grande ampleur. Tous ces héros, enchaînent les victoires contre des monstres, aux figures horribles, vicieux, souvent pervers. C'est ainsi qu'on qualifie leurs actes d'héroïque. Mais si tous ces héros, le sont, les malades chroniques, avec leurs maux invisibles, ne peuvent mettre en lumière leur victoire. Nos victoires, sont avant tout intimes, personnelles, comment pourrait-on accepter de porter le titre de héros? Comment pourrait-on être rassuré de se savoir héroïque? Doit-on d'ailleurs les célébrer ces exploits? Nos micro-victoires, en comparaison aux chimères antiques, ne sont pas si héroïque? En tout cas, elles sont invisibles, et souvent invisibilisées, c'est pourquoi nous sommes tout autant gêné que l'on puisse qualifier nos combats quotidien, comme des actes exceptionnels. Pourtant ils le sont, mais pas si évident d'accepter d'être un héros. D'ailleurs, aucun des héros antique ne l'accepte entièrement. Ils ont tous un grain de folie, qui côtoie bien souvent l'horrifique. Dans toutes ces histoires antiques, le lecteur est prévenu: le monstre, n'est pas externe au héros, mais bien le héros lui-même. Ils ont tous commis des actes abominables, que ce soit Hercule qui tue sa famille, après un accès de colère, Oedipe qui subit sa destinée, Ulysse l'un des amants les plus cruels de l'histoire, ou Gilgamesh qui est un véritable tyran avant de rencontrer son alter-égo. Tous se lancent à corps perdu, dans des combats héroïques, afin de sauver le monde, leur monde. Tous sont reconnus comme tel. Le monde accepte l'horreur que le héros a commis, l'accepte comme légitime, car le combat est explosif, grandiose, généreux, visible et franchement exceptionnel. Pourtant, il n'y a pas plus vil, cruel, féroce, perturbé que ces héros. Les textes antiques, nous disent tout cela. Mais, moi, qu'ai-je fait pour mériter le même destin qu'eux? Je n'ai pas commis de crime, des délits, sûrement. Mais tellement mineurs, par rapport à l'idée que je suis le monstre que je dois combattre avec opiniâtreté tous les jours de mon existence. Je sais en mon sein, que je suis le propre monstre que je dois combattre. Comment puis-je accepter ce fait? Et si je personnifie la maladie, dans son entièreté, dans son ensemble, sachant qu'il s'agit d'une maladie auto-immune, pour le moment, elle porte mon visage. Je ne suis donc pas encore prête de personnifier ma maladie comme une ennemie. C'est complètement à contre courant, mais cela montre bien la complexité de la psyché d'une malade chronique. Nous ne sommes pas si simple, car nous en sommes incapables, de part nos émotions chaque jours chamboulées et notre constante remise en cause de nos propres limites, et capacités physiques.



Il s'en passe des choses dans mon esprit. Mon monde intérieur est bien remplie, et la maladie y occupe une place centrale. Je ne la personnifie pas entièrement, car pour le moment, je suis incapable d'entendre le message si humain, qu'elle a à me transmettre. Mais comme tous les malades chroniques, je ne peux pas faire sans personnification de ce qui me fait du mal au quotidien. 

 

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