Vous prendrez bien un petit arrêt maladie?

 Je n'aime pas cette phrase. Mais alors pas du tout. 



Déjà parce que si je l'entend, c'est que je ne me suis pas rendu compte que mon état général se dégrade et qu'il me faut m'arrêter. Alors, je ne suis pas du genre à demander un arrêt maladie, mais cela fait déjà deux fois, que c'est ma médecin qui insiste. Elle a raison, certes! Elle a une vision extérieure, et dispose de la comparaison avec d'autres patients pour savoir objectivement, qu'en fait à ce moment précis, un arrêt serait bienvenue. Mais en fait, cela signifie-t-il que moi je n'arrive pas à savoir, à me connaitre suffisamment pour percevoir le besoin? 

A force de vivre au quotidien avec douleurs et fatigues, je les supporte, je les accepte, et effectivement visiblement j'en arrive à ne même pas reconnaitre lorsque je franchi la ligne rouge, que j'entre dans une zone non de turbulences, mais qui me met en danger. En tout cas, c'est ainsi que j'ai vécue mes deux derniers arrêts, en trois ans. Une invitation forcée à mettre en pause mon organisme, sans que moi, je m'aperçoive que j'en ai besoin. Je sens l'arrivée de poussée inflammatoire, je sens quand je fatigue plus vite que d'habitude, je sens quand j'ai plus mal que d'habitude. Mais je ne me vois pas franchir cette ligne de tous les dangers. Lorsque je suis objectivement sur la crète. Parce que c'est cela que signifie dans les mots de mon médecin traitant "oh, et un arrêt maladie ne vous ferait pas du bien?" "vous êtes sûre, vous me dites... un arrêt pourrait être nécessaire". Elle me connait, elle sait que je n'aime pas, alors elle insiste en douceur, tout en poursuivant sa consultation. On pourrait parler de l'égratignement de l'image que j'ai de moi-même, de mon image professionnelle, mais c'est plus que simplement le fait d'avoir peur d'être jugée, vu comme une fainéante, ou une moins que rien. C'est qu'un arrêt maladie, alors que je ne me sent pas malade? Je sais que je le suis. J'ai une ALD tout de même, une RQTH, mais c'est pas si évident pour moi, d'accepter de m'arrêter, alors que tout ce que j'ai c'est un peu plus de fatigue, un peu plus de douleur que d'habitude. L'effet pervers de vivre avec douleur et fatigue en permanence, fait que moi, je n'arrive pas à voir lorsque je dépasse mes limites outrageusement. Comme disait Socrate, "connais toi toi-même", mais justement, je n'y arrive pas. Pas dans mon corps. Voila ce qui se passe en moi, lorsque ces mots fatidiques sont prononcés. Je ne suis même pas capable de connaitre suffisamment mon corps pour percevoir qu'il franchi des limites dangereuses. Et d'un autre côté, mon passé de secouriste, les situations de stress dépassés que j'ai rencontrées, analysées en équipe, font que je sais, pour l'avoir vécu, l'avoir vu, que notre corps peut franchir ses propres limites et poursuivre comme si de rien n'était. Notre cerveau a cette capacité, pour notre survie, de franchir bien des caps, bien des atrocités, de littéralement disjoncter, pour que l'on puisse continuer à vivre. Et c'est aussi peut-être cela qui se passe, je franchi ma ligne rouge, je m'adapte, et je ne perçois plus que je fait face au précipice. Je franchi mes limites, et je suis en mode survie. Mode de fonctionnement qui fait exploser le compteur niveau stress. Mais c'est chez moi, non inné, mais résultante d'un acquis. C'est ce que vient profondément, chercher cette petite phrase, prononcée non sans mal, au contraire. 


  

Ensuite, je n'aime pas m'arrêter. C'est plus fort que moi. Je sais que ma médecin a raison. 

Invariablement, elle a raison. J'ai besoin de m'allonger, même lorsque je suis en télétravail. Cela fait trois semaines que je suis réveillée toutes les nuits entre 3h et 4h du matin, à cause de douleurs par ci, par là. Cela fait trois mois, que je subis des effets secondaires bizarres, nouveaux, avec une sensation de malaise généralisé quasi permanent. En trois semaines j'ai enchainé 14 rendez vous médicaux en tout genre. Ma vie s'est résumée, à travailler, entrecoupé de pauses car je tombe de fatigue, aller aux rendez vous, stresser et m'angoisser de ce qu'on ne trouve pas justement et dormir ou du moins m'allonger jusqu'au réveil matinal douloureux. Alors effectivement, elle a raison, une pause, j'en ai besoin. Mais tout de même, je n'aime pas ça. 


Cela signifie, que je suis tellement fatiguée, que je ne suis plus en capacité que d'uniquement prendre soin de moi. Et que même prendre soin de moi, ça demande de l'énergie. Cela signifie que mon utilité sociale se réduit au minimum? Cela signifie que je suis en train de m'enfermer, dans une vie de malade? Alors, mon cœur de femme, d'épouse, de mère en souffre. Je sais, que je ne peux pas faire. Je sais que je dois mettre sur pause. Mais cela me désole. Je ne veux pas me retirer de ses relations, qui me poussent en avant, mais je dois le faire, pour pouvoir le refaire plus vite. Et c'est d'autant plus dur à comprendre pour l'extérieur. L'arrêt maladie a au moins cet avantage, il rend tangible, visible ce besoin de repli sur soi. Ce n'est pas parce que je suis une mégère, acariâtre, mais simplement, que si je ne prend pas soin de moi, maintenant, ayant franchi mes limites, je sombrerai et ce sera bien plus grave, que de prendre un peu plus que juste du temps pour soi. 



Cela signifie que j'ai perdue une bataille?

Un arrêt maladie de temps en temps, ce n'est pas grand chose, au vue du travail à long terme à mener sur soi pour vivre avec. Vivre avec un rhumatisme inflammatoire chronique c'est un marathon qui ne cesse jamais. C'est touché ses propres limites sans cesse, à chaque instant. Et toutes les parties de notre vie sont impactés par ce fait. Alors pourquoi cela serait différent pour le monde du travail?

Même s'ils sont rares, ils sont présents, et ils m'indiquent mon niveau de capacité ou d'incapacité au travail. Attention, seul un médecin est apte à poser le terme d'incapacité et d'invalidité. Toutefois, c'est ce point qui entre en résonnance en moi. Une remise en cause, permanente de ma capacité à avoir une activité économique et/ou sociale reconnue. Je ne parle même pas du choix de l'activité, de sa résonnance avec nos propres valeurs, mais bien de finalement nos limites propres, qui sont déclinantes pour tous, mais tellement oscillantes. Aujourd'hui, marcher pendant 15 minutes et je dois m'arrêter, me pauser, souffler. Qui pourrait imaginer, qu'il y a 5 mois, je faisais 15 kilomètres par jour sur l'un des chemins de Saint Jacques? Comment concilier cette invariance? Comment vivre avec ma propre invariance? Les arrêts maladie, mettent un stop à toutes mes avancées. Pourtant ils sont absolument nécessaires, car ils me permettent de reprendre mon souffle. 

Je n'ai pas de doute, sur le fait que cela reviendra à un stade plus convenable. Mais, je ne suis pourtant pas certaine, que tout revienne? Si mon médecin m'ordonne de m'arrêter, c'est pour que l'ensemble reste soutenable, mais qui peut m'assurer que je retrouverai toutes mes capacités? Personne en fait. Et c'est ça aussi qui est compliqué, dans les arrêts maladie. Je ne sais pas exactement combien de temps il va durer, mais je sais encore moins, quelles capacités vais-je récupérer ou au contraire perdre. Si un stop m'est donné, c'est que j'ai déjà franchi la zone rouge, celle où le corps a déjà explosé ses propres limites. Mais pourquoi? Comment? Ai-je fait quelque chose de particulier, pour mériter ce recul? En fait non, le recul fait partie de la maladie. Il est juste terrible à vivre, car justement l'on n'y peut rien. L'arrêt maladie, la pause nécessaire, la preuve intangible visible que le corps ne suit plus, c'est aussi se prendre en pleine figure ses propres limites que nous n'avions pas vues. 


Alors, quand on me parle d'ambition, de changer de profession, de poste, de voir autre chose. En fait, j'aimerai déjà réussir à me maintenir au travail. Et un arrêt maladie, signifie que ce maintien en activité, n'est pas si évident. Je fais attention, je me ménage du temps pour moi, j'ai une vie assez réglée, je suis assez scrupuleusement les recommandations et avis médicaux, j'organise ma vie autour de mes soins et du nécessaire pour vivre avec elle au quotidien, je limite les excès en tout genre, quitte à passer pour une malotrue, incapable d'aller boire un verre après le boulot, et pourtant malgré tout ça, et bien malgré tout, c'est la maladie qui m'assaille, c'est elle qui gagne le combat. Voila ce qu'est un arrêt maladie. Un coup d'arrêt, un rappel à l'ordre, un titillement, qui me rappelle que même si je ne suis pas un être qui se définie par sa maladie, c'est elle qui mène la danse. Il y a de quoi objectivement déprimer. Lorsque la maladie gagne certaines batailles, (en réalité elle les gagne toute, elle nous laisse juste parfois le temps de souffler entre deux assauts), l'on constate que quoi que l'on fasse, c'est bien elle qui nous domine. Ce n'est pas pour rien que la dépression est l'une des comorbidités des maladies chroniques. Et pour soigner une dépression, il faudra aussi un arrêt maladie. Sacré cercle vicieux! C'est d'ailleurs, en ces termes que ma médecin m'a présenté la nécessité que je sorte pendant mon arrêt maladie. 


Et me voici, affublée de mon arrêt de travail avec ordre de sortir lorsqu'il fait jour, même juste pour aller au parc, au marché, ou autre. Assez incongru comme type d'arrêt maladie? Est ce que j'en culpabilise? Pas le moins du monde, mais cela ne m'empêche pas d'éprouver un sentiment d'étrangeté dans la dénomination. Certains arrêts maladie sont sans autorisation de sortie. Quand on a une bonne grippe, et qu'on ne souhaite qu'une bouillotte, un lit et dormir, ça va de soi. Mais quand on a une grosse fatigue, une difficulté de mouvement, le médecin peut faire un arrêt avec autorisation de sortie. Dans mon cas, elle m'a même intimé l'ordre de prendre l'air tous les jours. C'est bizarre, un arrêt maladie, avec l'ordre de sortir de chez vous aux heures du jour. Médicalement parlant, aucun problème, c'est logique. Pour éviter de sombrer dans les ténèbres de la dépression, pour réactiver la mélatonine, les endorphines et ainsi pouvoir mieux dormir, donc mieux récupérer et ainsi mieux affronter une période hivernale, ou une poussée inflammatoire, il est logique de vous ordonner de vous faire plaisir. De même, il est plus que logique et important, de vous obliger à vous bouger, car le mouvement, même minime, même au ralenti, fait parti du soin. Mais dans notre monde du travail, hyper connecté, hyper compétitif, et bien c'est bizarre, ça fait drôle.

Si j'allais plus loin, c'est totalement relier à la nécessité d'avoir des congés. La difficulté dans le cas de patient comme moi, c'est qu'on ne sait pas quand on aura besoin d'une pause. Il est vrai que ma médecin vient de me mettre en arrêt de travail, mais il est tout aussi vrai, que depuis quelques années, environ un quart à la moitié de mon temps de congés, ne sert qu'à récupérer d'une crise inflammatoire. Le pire étant lorsque cela arrive pendant les congés de Noël. J'adore, Noël! Alors être complètement HS à ce moment de l'année, au point que je demanderai un arrêt de travail (tiens pour une fois je me rend compte que j'ai franchi mes limites!), si je n'étais pas en congés, ça ne gâche pas les vacances, il vous restera toujours un bon moment de partage avec vos proches, un morceau de douceurs hivernales, ça vous rappelle simplement que la maladie, elle, ne prend ni congé, ni week end.  



Pour le moment, je ne suis pas dans le cas du témoignage suivant

https://www.coline.care/medias/articles/retour-au-travail-apres-un-arret-maladie-tmoignage-de-cathy

Je ne me pose pas la question du retour au travail? Car pour le moment, je sais que mon arrêt est totalement momentané. Il est l'expression d'un besoin d'une réelle pause, en plein milieu d'une phase d'instabilité permanente de l'évolution de ma maladie. Je comprends que cela soit compliqué. Et de fait, bien que je ne me pose pas la question, je me projette. Qu'en sera-t-il lorsque dans 10-15 ans, ce ne sera pas un arrêt maladie d'une semaine de temps en temps, mais des arrêts de trois-six mois. Voir qu'en sera-t-il lorsque ce sera un enchainement d'arrêt maladie? 

C'est une question que je me suis déjà posée, dans mon ancien poste. Actuellement, si j'étais encore face à des élèves, sur un trimestre, je n'aurai fait au mieux, que quinze jours. Alors victoire? Oui et non. victoire, car j'ai préparé mon cheminement professionnel en le réadaptant aux nécessités de la maladie chronique. Mais en même temps, quelle défaite! Même en ayant un poste plus en adéquation avec mes capacités réelles, je dois tout de même m'arrêter. Donc ce manège ne cessera jamais? Je devrais en permanence réfléchir et m'adapter à l'inexorable dégénérescence? Mais jusqu'à quand? Lorsque vous parlez à un malade chronique, pour qui les arrêts maladie font partie de son parcours de santé, cette dimension ne peut être exclue de notre discours. Pourtant, on aimerai bien, tous, que cela n'entre pas forcément dans l'équation. 



Les maladies chroniques, changent totalement notre rapport à la définition et la nécessité des arrêts maladie. Encore, une nouvelle définition à construire!


Pour les patients

https://ald-travail.fr/article/ald-affection-longue-duree/

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