A partir du moment où une maladie s'invite dans notre quotidien, ceux qui vivent avec nous deviennent nos aidants. La société commence à reconnaitre leur rôle, leur mission et enfin le poids émotionnel qu'ils prennent en charge. Tous ses petits gestes qu'ils font au quotidien, sont absolument nécessaires et une véritable aide à un mieux être pour nous. Pourtant nous ne le reconnaissons pas souvent, nous ne leur disons pas assez MERCI.
Ce qui a changé chez nous?
Pour montrer à quel point la maladie s'est invitée chez nous, en transformant mes proches en aidant, je n'utiliserai qu'un exemple. Avant, étant celle qui avait un peu plus de moments libres, disposant d'une voiture, je faisais les grandes courses environ toutes les deux semaines, majoritairement seule. L'action me prenait 2 à 3h en fonction du monde sur le chemin, de ma flânerie, de mes envies. Aujourd'hui, ce n'est clairement plus possible. Même flâner, magasiner, me demande une énergie folle, un temps de pause avant ou après. Aussi, cela a été remplacé par une importante livraison trimestrielle pour les charges lourdes, beaucoup de petites livraisons pour tout un tas de petits objets, (avec un impact écologique qui nous déplait), et beaucoup, très souvent, des petites courses. Aujourd'hui, mon mari, ou moi-même nous rendons à la supérette voisine deux, à quatre fois par semaine. Difficile d'être dans une logique de prévision à long terme. L'avantage, c'est que nous devenons de plus en plus minimalistes. Attachés à n'acheter que l'essentiel, car acheter plus, c'est trop lourd, quand ce n'est pas trois fois le prix. Nous pourrions bien-sûr aller au marché, il est un peu éloigné de notre domicile, mais surtout cela ne changerai pas le fait que notre manière de consommer a été fortement changée avec l'arrivée d'une invalidité. Alors, où est l'aidant? Et bien, cette réorganisation des tâches ménagères, qui pour nous suivait un équilibre en adéquation avec nos possibilités, demande souplesse des deux côtés. Celui qui faisait avant doit accepter de demander de l'aide. Celui qui ne faisait pas avant doit réaménager tout son planning. Toujours dans le domaine des tâches ménagères, toujours sur celle qui concerne l'achalandage de la maisonnée, je pourrai aussi insister sur l'aide fournie par mon enfant. De lui même, bien qu'il puisse râler pour la forme au moment d'arrêter de jouer, pour aller jusqu'au point de réassort le plus proche, mais de lui même, il répartira la charge des sacs, même si cela est aussi lourd pour lui que pour moi. De lui même, comme beaucoup d'enfant dont l'un des parents est malade, naturellement il se met en posture d'aidant. Si je dois porter plus de trois sacs, je demande de l'aide. Et cette aide m'est fournie, mais cela signifie tout de même que la charge, physique, réelle, je la déporte sur un conjoint, un enfant, que l'on nomme aidant.
Sauf qu'à y regarder de plus prêt. Pourquoi le fait de devenir aidant, est aussi difficile? Tout simplement, car la posture d'aidant, ce n'est plus la posture de conjoint, d'enfant ou de parent. Ce sont aussi les relations familiales qui sont réévaluées par la nécessité d'aider un proche. C'est cela qui est difficile. Mon proche a besoin d'aide, mais je l'aime par delà ses difficultés, pourtant ce sont ces difficultés qui m'obligent à m'adapter, à me corriger voir me blessent car ne respectent pas mes propres besoins. Elles me donnent une posture émotionnellement inconfortable, source de conflits propres à la personne aidée, à son acceptation ou non de sa propre diminution. Savoir aider un proche, c'est à la fois être capable de reconnaître l'aide dont il a besoin, de lui apporter de l'aide sans faire ce qu'il est encore capable de faire, tout en n'oubliant jamais qu'avant tout il s'agit de mon proche. Je ne remercierai jamais assez mes deux hommes, là au quotidien, qui compensent beaucoup de mes pertes d'autonomie, qui écoutent sans jugement mes plaintes, mais qui ne me font jamais sentir que je suis un poids ou un frein. Je leur reconnaît cette empathie humaine et qualité d'humanité tout en humilité si bienveillante.
Pour en avoir discuter avec d'autres malades, d'autres aidants, je sais que le nombre de gestes réalisés au quotidien par un aidant familial sont bien plus nombreux et invisibles que seulement porter des sacs de courses.
Tous les petits gestes, aussi anodins soient ils d'un point de vu extérieur, sont si nombreux. Alors ils sont tous réalisés, avec plus ou moins d'entrain, mais l'on peut comprendre que la répétition puisse épuiser celui qui ne fait que soutenir une personne avec laquelle il vit:
-sortir la poubelle, parce qu'il y a des escaliers
-ouvrir une boite de conserve, une brique, un...
-porter des sacs, des litres d'eau....
-accompagner à un rendez médical
-écouter les craintes et peurs, sans les juger
-réorganiser son emploi du temps en fonction des rendez vous médicaux de l'autre
-attendre, ralentir son rythme de marche
-accepter d'annuler des sorties, des visites.
-accepter de réduire sa vie sociale pour accompagner celui qui a besoin d'aide
-allumer une télévision/ s'assurer que tous les objets dont la personne a besoin sont chargés
-préparer les repas/ faire les courses/ rédiger les papiers/....
Plus la perte d'autonomie est présente, plus l'handicap est fort, plus ses gestes se démultiplient, et se rapprochent de l'intime.
-pousser un fauteuil, déplacer de fauteuil en fauteuil
-coiffer, habiller la personne
-l'accompagner à faire sa toilette, à la toilette
-le faire manger/ boire
-masser les membres, les faire bouger, pour limiter les dégâts de l'immobilité
-savoir que le toucher est bien plus parlant qu'une parole
-accepter des gestes incontrôlés (violent, agressif..)
-faire face et bonne figure face à toutes ses paroles blessantes, tout en se rappelant qu'elles ne sont pas pour nous, mais à cause d'une difficulté à accepter ce qui est inacceptable pour la personne
-savoir ne pas porter la détresse de la personne aidée
Il en faut de la force d'esprit, du courage de l'humanité, pour tous ces héros du quotidien. C'est tout cela à la fois devenir aidant d'un proche, quelque soit son âge, sa position dans la famille, son vécu avec cette personne. Et c'est pourquoi, ils méritent qu'on prennent soin d'eux. Ce serait tellement bien , que l'on arrête nos petites phrases pleines de bonnes intentions, sur la manière dont un aidant familial gère tel ou tel aspect de l'aide qu'il fourni à son proche. C'est en les écoutant vraiment, avec le cœur, en mettant de côté votre esprit, que vous entendrez ce dont eux, ont besoin pour poursuivre leur tâche. Parfois, c'est de partager un café, parfois c'est de dire qu'ils en ont marre, parfois c'est de leur rappeler en douceur, qu'ils sont déjà des héros, ils n'ont pas à être des surhumains.
Encore et toujours une histoire d'équilibre. Il est déjà très difficile de trouver un équilibre, lorsque la personne que l'on aide est capable d'exprimer ses besoins d'aides. Comment faire, sans faire à la place de, mais permettre à la personne de faire. Ce sont souvent des trésors de patience à développer. Et il ne s'agit pas d'un enfant, mais d'une personne en perte d'autonomie.
La question que devrait se poser notre société c'est aussi comment faire lorsque la personne que l'on aide, n'est plus en capacité de s'exprimer clairement, comment faire pour trouver cet équilibre? Surtout qu'une incapacité à s'exprimer, cela peut simplement être la traduction d'un état dépressif passager. Les soignants en gériatrie le savent bien, mais le toucher est bien le dernier sens à nous quitter. Une main sur une épaule, un câlin, un geste de tendresse, cela passe, même lorsque l'on n'a plus d'autonomie. Mais dans le cadre des aidants familiaux, l'on sent bien que les limites sont difficiles. Tout le monde n'est pas en capacité de toucher un corps fragile, surtout celui de son parent. Tout le monde n'est pas capable d'effectuer tous les gestes dont a besoin une personne en perte d'autonomie, surtout lorsque soit même l'on a une fragilité. Ce serait aussi bien de reconnaitre ces limites, sans les juger.
Alors pour mes deux z'amours, du quotidien, pour mes deux "zéros en z'héros" (vive Disney!), merci.
Je vous aime, et si un jour je venais à perdre encore plus d'autonomie qu'aujourd'hui, je n'attend pas de vous que vous vous épuisiez pour moi, simplement que vous soyez toujours à mes côtés, avec l'autorisation de me dire que je vous casse les pieds au besoin!
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